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Prima Materia

Exposition personnelle, Galerie Dilecta

"Tout commence avec une matière source : la cire. Plastique, diaphane, fragile, polymorphe, sensuelle voire charnelle, elle est aussi symbolique : associée à la lumière, aux promesses de vœux lorsqu'elle se fait ex-voto, à la divination et à la sorcellerie, à la mort, à la mémoire du défunt dont les traits auront été transférés sur un masque mortuaire, comme pour toucher à l'éternité, au passage de l'âme dans l'au-delà lorsque la chandelle se consume, à la renaissance du corps momifié dans l'Égypte antique… Cette matière se fait forme, signe et aussi symbole. Mais par sa capacité de transformation et à traverser différents états – de la liquéfaction à la solidification en s'appuyant sur les 4 éléments que sont le feu, l'eau, l'air et la terre – elle se charge d'une dimension alchimique qui répond à la manière de travailler de Juliette Minchin. Les œuvres monumentales créées pour ses expositions sont généralement détruites, recyclées, fondues et rejoignent la matrice qui contient ainsi le champ des possibles, celui des œuvres à venir. Un peu comme l'océan primordial duquel émerge le démiurge prêt à façonner le monde, cet espace indéterminé contient à la fois le créé et l'incréé, le mouvement et l'immobilité, la lumière et l'ombre, les principes masculin et féminin, le yang et le yin de la pensée orientale. La cire retourne à la cire avec, entre deux, l'étincelle de la création qui jalonne une longue trajectoire aux allures de chemin initiatique, une quête qui se nourrit d'archéologie, d'anthropologie et d'ethnologie. Juliette Minchin s'intéresse à des concepts universels partagés par de nombreuses cultures et met ainsi l'humain en perspective. Chez elle, le processus mis en branle est tout aussi important que l'œuvre achevée ; création et destruction sont les deux versants d'une même médaille qui s'enrichit d’une énergie créatrice, d'une charge « magique » – on serait tenté de compléter d'une « âme ». Une œuvre protéiforme sans fin, un genre d'organisme vivant.

Souffles fragmentaires

Depuis qu'elle a adopté cette cire il y a 3 ans, la quantité de sa « matrice » n'a pratiquement pas changé, 400 kg. Les drapés, qui se font chair et peau, suspendus sur ces squelettes d'architectures, retournent au « néant » en attendant de prendre corps pour un autre projet. Sauf à quelques exceptions près, tels les drapés-sujets des photogrammes créés pour l'exposition de Dilecta. À part, suffisamment mystérieux et saisissant la justesse d’un mouvement empreint de hasard, ils demeurent dans l'atelier, privilégiés. Ils rejoignent le cycle de la création autrement grâce, cette fois, à un autre élément constitutif de l'œuvre de Juliette Minchin : la lumière. Traversant les fragments de tentures de cire plus ou moins denses, elle impressionne le papier photosensible pour créer une image troublante, une sorte de voile étrange où se superposent des strates de transparences et d'opacités. Un souffle énigmatique. Il s'agit d'une autre façon de matérialiser un mouvement et de dessiner les contours de ces instants où le temps est suspendu, par la cristallisation de la lumière. "

Un morceau du cosmos

Les dessins de cire renvoient quant à eux à une autre expérimentation comme elle le relate : « Au départ, je mets de la suie que j'ai grattée de ce bout de bois brûlé que j'ai rapporté de Sicile (où j'ai fait une résidence marquante) et que je mélange avec du graphite, du fusain et des pigments d'Arménie. Après avoir projeté de l'eau vivement, je rince le papier que je trempe dans la cire. Une fois figée, je gratte la surface en chauffant avec un sèche-cheveux et ainsi, le papier devient translucide. » En opposition à ses drapés baroques, ces feuilles plates sont comme des peaux tannées et tendues qui, rétroéclairées, révèlent des lignes d'une chiromancie imaginaire ou nous emmènent dans un ciel de fête. Elle saisit un éclat, une détonation, un morceau du cosmos. Dans cette série, les « Hydromancies », elle co-crée avec l'eau qui impulse la dynamique du trait, là où dans la série des photogrammes – les « Cérogrammes » – c'est la lumière qui fait image. « Dans les photogrammes, le noir matérialise les espaces où passe la lumière alors que dans les dessins, c'est l'inverse, c'est l'eau qui crée l'image. Comme un feu d'artifice, le yang éclaire le yin. La lumière traverse l'ombre. » Dans les deux cas, le temps s'arrête juste pour saisir quelque chose de furtif que l'on n'aurait pas vu si l'œuvre n'en gardait la trace.

Texte de Stephanie Pioda. 

1. Vue générale

2. Hydromancie 2, 
Poudre de graphite, bois brûlé de Sicile, poudre de fusain, pigments minéraux d’Arménie, bistre, cire recyclée, L.55 H.65 cm, 2022

3. Sans relâche, Fragment 201g, cire, L.30 l.15 h.30 cm, 2022

4-5. Cérogrammes, Épreuves gelatino-argentique, papier baryté mat, 35 x 25 cm 

6. Vue générale

7. Hydromancie 10Poudre de graphite, bois brûlé de Sicile, poudre de fusain, pigments minéraux d’Arménie, bistre, cire recyclée, L.27 H.33 cm, 2022

8. Hydromancie, Poudre de graphite, bois brûlé de Sicile, poudre de fusain, pigments minéraux d’Arménie, bistre, cire recyclée, h.225 l.125 cm, 2022

 

9. Hydromancie 8Poudre de graphite, bois brûlé de Sicile, poudre de fusain, pigments minéraux d’Arménie, bistre, cire recyclée, L.27 H.33 cm, 2022

10. Vue Générale

2. Hydromancie 2Poudre de graphite, bois brûlé de Sicile, poudre de fusain, pigments minéraux d’Arménie, bistre, cire recyclée, L.55 H.65 cm, 2022

11. Hydromancie 4Poudre de graphite, bois brûlé de Sicile, poudre de fusain, pigments minéraux d’Arménie, bistre, cire recyclée, L.55 H.65 cm, 2022

12. Hydromancie 11Poudre de graphite, bois brûlé de Sicile, poudre de fusain, pigments minéraux d’Arménie, bistre, cire recyclée, L.55 H.65 cm, 2022

Galerie Dilecta, Paris,

2022.

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